Voyage de printemps de l’Amopa 21 – Excursion à LANGRES

Le 13 avril 2022, 28 adhérents et amis de la section de la Côte-d’Or de l’AMOPA ont participé à l’excursion organisée à Langres par notre fidèle accompagnateur Philippe Engasser de JIP Tours, à la découverte de la vieille ville fortifiée et de la Maison des Lumières Denis Diderot.

Avant de nous entrainer sur les remparts, notre guide de l’office du tourisme a rappelé les grandes lignes de l’histoire de Langres et du développement de son urbanisme.

Portes des Moulins
Porte des Moulins

Un peu d’histoire 

Capitale du territoire de l’un des anciens peuples gaulois, les Lingons, son destin est bouleversé par la conquête romaine. Bâtie sur un éperon rocheux, important carrefour des voies militaires et commerciales, la cité atteint 8 000 habitants et se dote d’édifices monumentaux.  Vers le milieu du IIIème siècle, les grandes migrations font céder les frontières rhénanes devant l’invasion de peuples venant de l’Europe de l’Est. La ville se replie sur elle-même et construit une première enceinte réduisant sa superficie et sa population d’un tiers. Durant le Haut Moyen-Âge, le territoire de Langres est ballotté entre les royaumes francs et burgondes. Pendant cette période bousculée l’évêque devient le seul homme fort de la cité et de la région, concentrant tous les pouvoirs. Dès la fin du XIIème siècle, il est très proche du roi, se protégeant ainsi des ambitions de la Bourgogne et de la Champagne.

Langres restera et reste encore une ville de marche entre Bourgogne, Franche-Comté et Lorraine, une ville frontière toujours fidèle au pouvoir central. En 1840, elle est l’une des principales places fortes. Son enceinte urbaine est rénovée et une citadelle est construite au sud.  Après le conflit de 1870-1871 avec la Prusse, Langres se développe par la construction dans un rayon de 13 kms de vastes ouvrages dont huit forts détachés. Les casernes de Langres accueillent une importante population militaire de 3 000 soldats jusqu’à la première guerre mondiale. Le 21ème régiment d’infanterie occupe les lieux de 1873 à 1939. Finalement, Langres ne sera jamais touchée ni prise lors de conflits locaux, d’où son surnom « La pucelle ».

Dès le milieu du IIIème siècle, Langres veille donc à ses fortifications et les adapte à la croissance de la cité pour en faire des fortifications uniques en Europe. Quatre étapes marquent leur évolution :

  • L’enceinte de l’antiquité à laquelle de nombreuses maisons sont adossées directement.
  • L’enceinte du XIIIème siècle, avec quatre portes et deux poternes, destinée à contrôler les impôts sur les marchandises vendues place du marché (actuelle place Diderot).
  • L’enceinte du XIVème siècle de 1 200 mètres sur laquelle se greffent des ouvrages adaptés aux progrès de l’artillerie : tours d’artillerie puis bastions aux formes rectangulaires et octogonales.
  • La citadelle du XIXème siècle, comptant huit bastions, aussi vaste que la ville ancienne, porte le périmètre fortifié à huit kms. Outre les casernements, on construit un arsenal, des entrepôts, un hôpital, des magasins à poudre permettant de ravitailler 13 000 hommes et 1 000 chevaux durant 6 mois.

Porte des Auges sous les remparts

Tour Saint-Jean XVIème siècle (ancien pigeonnier militaire ) photo prise depuis le bus

L’urbanisme : quelques éléments

La vieille ville, fortement marquée par son héritage médiéval, est préservée n’ayant subi aucune destruction majeure ni opérations d’urbanisme. En revanche, la majorité des immeubles ont été construits entre le XVIème et le XVIIIème siècle. La pierre calcaire de Langres, facilement extraite dans les carrières du plateau, est omniprésente, les toitures sont généralement en tuiles rouges. Les façades sont souvent ornées de détails décoratifs de toutes les époques et de tous les styles : moulures, corniches, lucarnes, niches, souvent témoignages d’une forte piété. Les faubourgs ne se développent qu’à la moitié du XXème siècle. La cité ne sort des remparts du XIXème siècle qu’après 1962, en même temps que s’installent les premières entreprises spécialisées dans la plasturgie. C’est l’aménagement du quartier de la Citadelle, la ville compte alors jusqu’à 10 000 habitants.  Avec la baisse de la démographie après les années 1980, Langres maintient sa population à 8 000 habitants. Un plan de gestion urbaine préserve l’intégrité de la ville ancienne, classée secteur sauvegardé.

Déambulation

Le groupe se dirige vers les remparts et la Tour Saint-Ferjeux, construite sous Louis XI, qui remplace la tour carrée du milieu du XIVème siècle, dont le soubassement reste visible. C’est la première des tours d’artillerie construites à Langres, dotée de murs de 6 m d’épaisseur et d’une terrasse munie d’embrasures permettant d’accueillir des canons de gros calibre.

Nous circulons sur le mur de soutènement gallo-romain, datant du 1er siècle, qui se présente sous la forme d’hémicycles concaves renforcés par des contreforts obliques. Ce mur de 6m de hauteur constitue les fondations de l’enceinte du XIVème siècle.

Ici, nous bénéficions d’un point de vue panoramique sur les alentours de Langres vers la Champagne, la Lorraine et la Bourgogne-Franche Comté. Au loin, l’un des quatre lacs-réservoirs du Pays de Langres, conçus pour alimenter le canal de la Marne à la Saône, en l’absence de rivières alentour et de possibilité de construire des écluses. Ces lacs sont aussi aménagés pour des activités touristiques.


Tour Saint Ferjeux (XVème siècle)

Chemin de ronde

Mur de soutènement gallo-romain

Tour Virot

Lac de Liez (l’un des quatre lacs-réservoirs)

Empruntant la rue du Petit-Bié, où subsistent de très anciennes décorations sur le mur de l’ancienne chapelle du Collège des Jésuites – actuel collège Diderot – nous accédons à la rue Diderot, première partie de l’axe nord-sud rectiligne, qui traverse la ville, héritage des cités romaines.  

Les Jésuites s’implantent dans la cité au milieu du XVIIème siècle et dirigent ce collège qui compte près de 200 élèves, externes, jeunes notables de Langres et de la Région. Le cursus comptait quatre classes de « grammaire » (collège d’aujourd’hui), une classe « d’humanités », une classe de « rhétorique » et deux classes de « philosophie ». Proie des flammes en février 1746, le bâtiment est rapidement reconstruit et mieux organisé autour de deux vastes cours dont l’une s’appuie sur le mur des remparts du XIIIème siècle. Le portail du mur de clôture est surmonté d’une allégorie de l’instruction due au sculpteur langrois Antoine Besançon.  A droite, la chapelle avec un fronton dont la profusion décorative évoque le style flamboyant baroque.

Une petite pause place Diderot, devant la statue de Denis Diderot, en face de sa maison natale, permet à notre guide de nous rappeler rapidement sa biographie. Né à Langres en 1713, issu d’une famille aisée de couteliers, il étudie au collège des Jésuites. Élève brillant, il quitte Langres à 13 ans pour poursuivre ses études à Paris, brisant les rêves d’ascension sociale de son père qui espérait le voir prendre sa succession ou devenir Chanoine. Il étudie la philosophie, la théologie, devient précepteur, traducteur, auteur de sermons… Dès 1747, il se lance avec D’Alembert dans la rédaction de l’œuvre de sa vie, l’Encyclopédie. Également célèbre pour d’autres écrits : « La Religieuse », « le Neveu de Rameau », « Jacques le Fataliste », Diderot ne reviendra que cinq fois dans sa ville natale à laquelle il reste pourtant très attaché.  C’est à l’occasion de Centenaire de sa mort en 1884 que la place et la rue furent rebaptisées à son nom et qu’on lui érigea une statue. Due à Bartholdi, elle repose sur un socle où sont énumérés les principaux collaborateurs du projet encyclopédique.


Statue de Diderot

Maison d’enfance de Diderot

Maison natale de Diderot

Plaque commémorative

Puis nous nous dirigeons vers la monumentale Cathédrale Saint-Mammès dont la construction au XIIème siècle est due à Geoffroy de La Roche-Vanneau, compagnon de Saint-Bernard avec qui il entre à Cîteaux en 1112 et fonde Clairvaux. Il est aussi l’abbé fondateur de Fontenay en 1119, puis prieur de Clairvaux. Saint Bernard l’impose comme évêque de Langres. Les dimensions de la cathédrale sont impressionnantes :  100 m de long, 40 m de large et 23 m de hauteur sous nef. De type roman bourguignon, elle est le dernier édifice construit dans la lignée de l’abbatiale de Cluny. On remarque la simplicité décorative issue des préceptes cisterciens, alliée à une abondance de thèmes végétaux, mais aussi l’influence des premières expériences gothiques d’Ile-de-France, comme les croisées d’ogives. 


Cathédrale Saint Mammès (en réfection)

Cathédrale Saint Mammès

Après plusieurs incendies et dégradations, la façade romane est démolie en 1760. Elle est reconstruite selon la tradition gothique qui loge deux clochers quadrangulaires autour d’un corps central plus bas, surmonté d’un fronton triangulaire et de statues monumentales représentant l’Église et la Synagogue portant les Tables de la Loi. Sous la Révolution, crosse, mitre et Écritures saintes sont transformées en licteur, bonnet phrygien et Déclaration des droits de l’homme, encore visibles.

En face la cathédrale, la statue de Jeanne Mance sur la place qui porte son nom. Née à Langres, en 1606, Jeanne Mance, se consacre à ses compatriotes pour faire face à la guerre, à la peste, à la misère qui ravagent le pays.  Elle embarque en mai 1640 pour le Québec. Infirmière et intendante, elle est cofondatrice de Ville-Marie (Montréal) et de l’Hôtel-Dieu de Montréal.  Sa statue érigée en 1968 se trouve à l’emplacement des fonds baptismaux de l’ancienne église Saint-Pierre Saint Paul où Jeanne fut baptisée.


Porte latérale de la cathédrale

Sous la Révolution, crosse, mitre et Écritures saintes sont transformées en licteur et bonnet phrygien.
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Square Henryot

Statue de Jeanne Mance par Cardot

A travers un dédale de petites rues nous rejoignons la rue Diderot et l’Hôtel de l’Europe où le groupe partage un excellent déjeuner composé de produits et recettes locaux.

Après cet agréable moment de convivialité, nous poursuivons notre visite sur les traces de Diderot en partant à la découverte de la Maison des Lumières Denis Diderot, unique musée en France, consacré au philosophe, inauguré en 2013 pour le tricentenaire de sa naissance.

La Maison des Lumières Denis Diderot


Salle des plafonds peints
Le site du musée est un hôtel particulier du XVIème siècle, l’hôtel Du Breuil. En 1923, la propriétaire offre sa résidence à la Société historique et archéologique de Langres qui en fait le musée Du Breuil et présente des collections d’arts décoratifs. Trop vétuste, il ferme ses portes en 1995. En 2009, la Ville de Langres en devient propriétaire, réhabilite complètement les bâtiments et crée la Maison des Lumières Denis Diderot.

Ce musée présente la vie et l’œuvre du philosophe et propose une découverte de l’homme mais aussi du Siècle des Lumières à travers un parcours que notre guide sait rendre passionnant et enrichissant.

 Un buste en bronze de Diderot par Jean-Antoine Houdon, offert par Diderot à sa ville natale en 1780, est entouré d’objets évoquant son père coutelier ou encore le collège jésuite qu’il a fréquenté.

Des instruments scientifiques, sextant, chronomètre de marine, des cartes et des livres de voyages illustrent les progrès dans la découverte du globe et des autres cultures, autour d’une édition originale du « Supplément au voyage de Bougainville » écrit par Diderot en 1772. L’évolution des idées philosophiques nous apparait étroitement liée à ces découvertes. 

Diderot poursuit ses études à Paris et publie ses premiers travaux de traducteur (de l’anglais au français) et ses premières œuvres romanesques et philosophiques.

Une pendule que lui a offerte Marie-Thérèse Geoffrin pour améliorer le confort de son cabinet de travail trône au côté des témoignages de sa vie sociale parisienne, au théâtre, dans les cafés, dans les Salons, chez les libraires, à l’Opéra, à la Comédie Française…. Paris, Ville cosmopolite, Ville des Lumières apparaît incontournable pour la formation des élites. Une salle est consacrée au seul grand voyage de Diderot, à Saint-Pétersbourg, pour rendre visite à l’impératrice de Russie Catherine II, à qui il a vendu sa bibliothèque et dont il devient le bibliothécaire !

L’exposition témoigne ici de la circulation des livres, de journaux, des lettres et des hommes et démontre que le progrès des idées est une œuvre collective. On y trouve les textes de Diderot sur l’Éducation et son « Plan d’une Université pour le gouvernement de Russie » demandé par l’impératrice. Toutefois, ses nombreux échanges avec Catherine II pour la sensibiliser aux idées des Lumières, s’ils éveillent la curiosité de la tsarine, ne seront jamais suivis de mise en application, à sa grande déception !


« Notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde ; il ne croit point être en pays ennemi ; il veut jouir en sage économe des biens que la nature lui offre ; il veut trouver du plaisir avec les autres ; & pour en trouver, il en faut faire. »
– Article « PHILOSOPHE » de L’Encyclopédie –

Buste de Diderot
en plâtre patiné
par Jean-Antoine Houdon
Dans une autre salle, on découvre Diderot et les Arts. Il participe à des discussions passionnées et se distingue comme théoricien et critique ; ses visions esthétiques imprègnent l’ensemble de ses textes, pièces de théâtre et romans. Il s’intéresse à la peinture, la sculpture, la musique et encourage les artistes à s’ancrer dans le monde réel plutôt que dans l’imaginaire : par exemple peindre des paysages ou natures mortes plutôt que des scènes de la mythologie.
Œuvre ci-contre : « La fête des bonnes gens ou la récompense de la Sagesse et de la Vertu » de Pierre-Alexandre WILLE (vers le site Musées Grand Est)

Puis on pénètre dans la dimension intellectuelle de l’entreprise encyclopédique, du projet du « Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers », qui veut « rassembler les connaissances éparses sur la surface de la Terre ». On découvre les sources sur lesquelles s’appuient les rédacteurs de l’Encyclopédie et les nombreux collaborateurs formant cette « société de gens de Lettres » qui ont travaillé à la rédaction, dans des proportions certes différentes.  On mesure le risque de publier et le poids de la censure, les attaques religieuses, le soutien de la Marquise de Pompadour, le renoncement de d’Alembert, lassé des persécutions.



Denis Diderot


Jean le Rond d’Alembert

La salle suivante nous renseigne sur la manufacture de l’Encyclopédie, sa fabrication matérielle, qui s’étend sur 29 années, employant plus de 1 000 ouvriers ; papetiers, typographes, dessinateurs, graveurs, imprimeurs, relieurs.  Le dictionnaire raisonné compte 18 000 pages dans 35 volumes, dont 11 volumes de planches. L’un des temps émouvants de la visite est certainement la présentation d’une édition originale complète de l’Encyclopédie dirigée par Diderot et d’Alembert.


Planche du savant naturaliste Carl Von LINNÉ (suédois)

Enfin, la dernière salle, sous une magnifique forêt constituant la charpente, nous donne des éléments sur le contenu de l’encyclopédie : concepts, politique, religions, arts, sciences,  métiers (coutellerie, faïencerie par exemple), histoire naturelle avec les trois règnes, l’animal, le végétal et le minéral. Parmi les sources les plus récentes, on relève l’histoire naturelle du Comte de Buffon. Les disciplines scientifiques et les mathématiques sont particulièrement développées.

La Maison des Lumières mériterait le statut de musée national, pour ses collections qui illustrent la vie et l’œuvre du philosophe Denis Diderot, natif de Langres, son rôle déterminant dans son siècle et l’histoire de la pensée occidentale et pour la présentation unique de l’Encyclopédie, œuvre majeure du mouvement des Lumières, qui a révolutionné la pensée, la société et la place de l’homme dans le monde.

Après la traditionnelle photographie de groupe sur le perron de l’hôtel particulier qui héberge ce musée, nous avons regagné notre car pour le retour à Dijon.

Diderot écrit que « devenant plus instruit, on devient plus vertueux et plus heureux ». Alors, nous sommes, toutes et tous, rentrés nettement plus vertueux et plus heureux, qu’au matin de ce 13 avril !

Texte Mireille Manière
Photos Monique Thomas