Vendredi 17 mai- 8h du matin
A nouveau bien installés dans le cas prêt au départ, nous accueillons à notre bord, Daniel Ehret, qui sera notre guide pour la visite des deux villages réputés qui nous attendent ce matin-là : Kaysersberg et Riquewihr. Dès les présentations et le début du voyage, nous comprenons que Daniel Ehret est un personnage haut en couleur, plein d’entrain et d’humour, mais aussi un fin connaisseur de l’histoire alsacienne, un amoureux de la région d’Alsace et tout particulièrement de sa ville de Sélestat et des villages environnants.
Effectivement, tant pendant les trajets d’une commune à l’autre que pendant les balades dans les rues des deux magnifiques villages, Daniel Ehret nous transmet une multitude de connaissances sur ces lieux historiques, truffant ses commentaires d’anecdotes truculentes et de pointes d’humour, parfois impertinentes mais toujours amusantes et respectueuses.
Voici quelques informations retenues sur l’histoire des deux villages et la découverte de leurs trésors…
Kaysersberg occupe une position stratégique, qui a rapidement imposé la cité comme place forte permettant le contrôle du franchissement des Vosges par le Col du Bonhomme (949 mètres). La vallée était certainement déjà occupée par des militaires dès l’époque Romaine. Quelques moines bénédictins s’installèrent un peu plus haut dans la vallée, à Alspach, au début du 12ème siècle.
Au début du 13ème siècle (vers 1218), la forteresse est construite par le bailli impérial Wœlfelin de Haguenau.
Sa première enceinte passait entre l’église et l’Hôtel de ville, filait jusqu’à la rivière, la Weiss, longeait le cours d’eau jusqu’à l’emplacement du pont fortifié et rejoignait le mur d’enceinte du château au niveau de la rue des Forgerons.
L’histoire de la ville commence véritablement en 1227 lorsque l’empereur du Saint Empire romain germanique, Frédéric II de Hohenstaufen, petit-fils de Frédéric Barberousse, décide d’acheter le château afin de contrôler la vallée de la Weiss et de protéger les vallées vosgiennes contre les incursions lorraines. On procède aussitôt à la consolidation et à l’agrandissement de la forteresse.
Kaysersberg, littéralement Mont de l’Empereur, était né. C’est le début de l’époque prospère de la ville, sous le contrôle de la famille des Hohenstaufen. Ville médiévale par excellence, elle subit malheureusement plusieurs sièges en 1245, 1247 et 1248, malgré ses fortifications et la reconstruction du château surplombant la ville. Aux mains de l’évêque de Strasbourg, la ville repassera, en 1261, sous la protection de Rodolphe de Habsbourg, futur empereur. Devenu empereur, il y revint en 1285.
Kaysersberg devient ville impériale du Saint Empire le 18 mars 1293. Dès cette date et pour reconnaître son importance, la population de Kaysersberg se voit accorder les mêmes droits qu’à Colmar. Ainsi, Kaysersberg ne dépendra plus directement que du pouvoir impérial, aucun seigneur ne pourra plus revendiquer de droits sur elle. Cette indépendance a entraîné le développement de la cité qui ne cessera de s’agrandir. La ville, qui couvrait alors près de 10 ha, possédait deux portes, aujourd’hui disparues. Les remparts de ville étaient rattachés à ceux du château, créant ainsi l’une des plus belles citadelles médiévales de la région. Des tours carrées ou cylindriques fortifiaient les points névralgiques des remparts.
Au 14ème et 15ème siècle, la ville prospère. Le roi des Romains et futur empereur Charles IV affranchit, en 1347, les citoyens de Kaysersberg de toute juridiction étrangère.
En 1354, Charles IV reconnut l’union des dix villes libres d’Empire alsaciennes au sein du Saint-Empire romain germanique en une ligue, la Décapole, dont le chef-lieu est Haguenau et qui vise à une alliance militaire et une entraide financière entre ces villes, dont Kaysersberg. La décapole subsistera pendant trois siècles.
À cette époque, outre le négoce et l’artisanat, la production de vin connaît un vif succès et s’exporte dans l’Empire bien au-delà du Rhin.
En 1429, elle gagne encore en notoriété et affirme sa vocation économique grâce au droit accordé d’avoir un marché hebdomadaire. Le prestige de la ville atteint son apogée en 1479, grâce à l’ouverture d’une foire annuelle.
Le mécontentement des paysans provoque, en 1525, un conflit durant lequel Kaysersberg fut assiégé. C’est la guerre des Paysans allemands. La ville capitula le 19 mai. Le château et l’abbaye d’Alspach furent pillés, incendiés et dévastés. Ces fortifications ont été agrandies une dernière fois en 1530.
Maximilien lui donne, en 1573, comme bailli impérial, Lazare de Schwendi qui s’est battu en Hongrie et a pris la petite ville de Tokaj. On dit qu’il en aurait profité pour rapporter quelques plants de vigne du fameux cépage et qu’il en fit don au village de Kaysersberg. Ces quelques vignes se sont largement multipliées. Elles ont fait la réputation vinicole et viticole de la ville. Le comte Antoine Henri d’Andlau en fut le dernier titulaire.
Le 17ème siècle est difficile suite à la guerre de Trente Ans (1618-1648) qui met fin à l’ascension de Kaysersberg et laisse la région ruinée par le passage des différentes troupes belligérantes de ce conflit. Kaysersberg finit également par perdre son indépendance et devient la possession de la Couronne de France.
Mais la ville renoue avec la prospérité dans la seconde moitié du siècle. En effet, tout au long de la seconde moitié du 17ème siècle, la cité se repeupla peu à peu et retrouva ses activités d’antan.
Après un regain de dynamisme au 19ème siècle, principalement dans les années 1820-1870, grâce à l’installation d’industries textiles, la ville subit de plein fouet les écueils de la Guerre. Le 4 décembre 1944, Kaysersberg devient le verrou de la poche de Colmar et est mise en état de siège. Le 17 décembre 1944, la ville est libérée mais elle est fortement endommagée par les combats d’artillerie et les combats de rue.
Après de nombreux ouvrages de restauration, Kaysersberg a gagné sa place parmi les plus beaux villages d’Alsace et remporté l’édition 2017 de l’émission télévisée « Le village préféré des français ».
Depuis le 1er janvier 2016, Kaysersberg a fusionné avec les communes de Sigolsheim et Kientzheim pour créer la commune nouvelle de « Kaysersberg vignoble ».
Dominé par le donjon du château de Hohenstaufen, couronné par le coteau du Schlossberg couvert de vignes, le village se situe sur la route des vins d’Alsace et se distribue tout le long de la rivière aux eaux claires et rapides, la Weiss.
Kaysersberg a conservé un très grand nombre de vestiges de son passé médiéval et impérial, tels les ruines du château et les restes des remparts, la Kessler Turm, tour carrée, qui avec ses 22 mètres est la plus haute des tours de défense et accueille aujourd’hui un nid de cigognes habité, le pont fortifié avec son édicule central à fonction de prison au XVIème siècle, la porte de la rue des Forgerons.
Sous la conduite rythmée et animée de notre guide, nous déambulons dans les rues pavées et bordées de magnifiques maisons à pans de bois, de hautes façades cossues, vivement colorées et richement décorées, coiffées de pignons pointus. On admire la maison Loewert (XVIè-XVIIIè siècles) avec son oriel d’angle et ses colombages exceptionnels, l’Hôtel de Ville, construit dans le style de la Renaissance rhénane avec son grès rose et son superbe oriel sculpté à deux étages, le manoir d’Etienne de Bavière et de Claire de Hunawihr dont le porche crénelé est décoré des armes des époux, l’église Sainte Croix et le tympan de son portail roman à colonnettes richement travaillé.
Au fil des rues, on peut découvrir des balcons avec balustrades en bois sculptées ou torsadées, des poteaux corniers sculptés de personnages ou de motifs décoratifs, des allèges de fenêtres aux décors variés (Croix de Saint-André, chaise curule, losanges ou combinaisons de plusieurs de ces formes), des encadrements de fenêtres en bois magnifiquement sculptés.
Pour nous rendre au musée Albert Schweitzer que nous allons visiter librement, nous empruntons la rue Général de Gaulle, envahie de restaurants et d’artisans traditionnels : cristallerie, verrerie, poterie, chocolaterie, pâtisserie…
Daniel Ehret attire notre attention sur les clefs de voûte qui ornent le dessus de nombreuses portes d’entrée. Outre les initiales du propriétaire et la date de la construction de la maison gravées dans la pierre, elles affichent un cartouche contenant le blason du propriétaire ou l’emblème de son métier : ciseaux pour le tailleur, serpette pour le vigneron, tonneau et compas pour le tonnelier, bretzel pour le boulanger …
Notre guide casse un mythe avec beaucoup d’humour et nous apprend que le fameux bretzel ne serait peut-être pas alsacien mais originaire du Sud, qu’il aurait déjà existé dans le monde romain et serait arrivé en Alsace.. en passant par la Lorraine !
La rue est jalonnée de remarquables enseignes en fer forgé, qui au-delà de l’indication de l’activité commerciale, constituent de véritables pièces ornementales qui ajoutent au pittoresque des lieux. Toutes très colorées, elles sont emblématiques, parfois humoristiques ou représentent de véritables saynètes. On s’attarde sur l’enseigne du restaurant de Roger Hassenforder, célèbre coureur cycliste alsacien !
Albert Schweitzer, naquit en 1875 à Kaysersberg, dans la maison accolée au petit musée qui lui est consacré. Son père était pasteur. Il est lui-même une personnalité à multiples facettes. Dès 1905, il condamne avec force le « colonialisme et ses crimes ». Il a étudié la théologie protestante, la philosophie, l’orgue et la musicologie et décide de s’inscrire à la faculté de médecine de Strasbourg à l’âge de 30 ans pour effectuer une mission humanitaire en Afrique. Parallèlement, il exerce en tant que pasteur et organiste. Reçu docteur en 1913, il part immédiatement pour Lambaréné au Gabon avec son épouse Hélène. Sur la rive de l’Ogooué, il construit un hôpital de brousse qu’il ne cesse d’agrandir, grâce aux dons collectés en Europe lors de ses concerts d’orgue et ses conférences. Prix Nobel de la Paix en 1952, il n’a cependant pas échappé à la controverse tant à propos de ses relations avec les Africains empreintes d’autoritarisme et de paternalisme que sur la manière dont il aurait géré l’hôpital de Lambaréné.
Le musée est néanmoins un magnifique témoignage de son engagement humanitaire au Gabon. Il expose documents et photos retraçant l’histoire de l’hôpital de Lambaréné, complétés par des souvenirs personnels et des pièces de l’artisanat gabonais. On admire notamment le célèbre casque colonial d’Albert Schweitzer, son nœud papillon, un orgue et ses partitions, son stéthoscope ou encore une pirogue de l’hôpital de Lambaréné. On peut observer de nombreux documents photographiques familiaux ou relatifs à l’hôpital. Plusieurs maximes ou réflexions philosophiques du Dr Schweitzer sont encadrées et livrées à notre réflexion. Par exemple : « Celui à qui la souffrance est épargnée, doit se sentir appelé à soulager celle des autres ».
Albert Schweitzer est mort à Lambaréné le 4 septembre 1965 où il est inhumé mais l’hôpital continue à fonctionner.
Après cette visite qui sera l’une des dernières pour le musée qui va fermer ses portes pour travaux de rénovation jusqu’en 2020, nous regagnons notre car pour prendre la direction d’un des plus beaux villages de la route des vins d’Alsace et …. de France : Riquewihr.