Sortie de printemps, L’écomusée d’Alsace, 16 mai 2019

Le restaurant typique « La taverne » nous accueille à l’entrée de l’écomusée dans un cadre chaleureux, décoré à l’alsacienne où nous nous regroupons autour de tables de 5 à 8 convives.  Le chef cuisinier et son équipe fort sympathiques nous proposent un menu du terroir – tarte au poireau et au munster, Baeckeofe, fromages des producteurs locaux et kougelhof glacé – servi avec des vins blancs ou rouge d’Alsace. L’ambiance est excellente, les assiettes sont bien garnies et leur contenu « fait maison » est de qualité. Largement rassasiés, nous quittons la Taverne pour aborder une promenade digestive et enrichissante dans ce village rural alsacien du siècle passé.

L’écomusée

L’écomusée d’Alsace est un site majeur en Europe qui a constitué une collection exceptionnelle d’architecture rurale alsacienne d’une grande diversité et en assure la préservation et la mise en valeur. C’est aussi un conservatoire des Arts et Traditions populaires de la région d’Alsace et un écosystème exemplaire.

Dans les années 1970, de jeunes bénévoles de l’association « Maisons paysannes d’Alsace » se sont engagés pour préserver de la démolition des dizaines de maisons alsaciennes que leurs propriétaires d’alors ne pouvaient plus entretenir. Leur première démarche a été de tenter de maintenir ces maisons dans leur commune d’origine en aidant à conduire et à définir les travaux de sauvegarde tout en y intégrant les éléments de confort moderne. 25 maisons sont ainsi sauvées.  Mais pour d’autres, devant l’impossibilité de les conserver, a été entamé un travail colossal de déconstruction de ces bâtiments en vue de les reconstruire au sein d’un « conservatoire » de la maison alsacienne. La maison à colombage peut être facilement démontée et déplacée à un autre endroit. C’est un atout à une époque où le constructeur n’est pas toujours propriétaire du sol. Il peut ainsi emporter avec lui sa maison sur une autre terre. C’est ainsi qu’a été rebâti ce « village » qui est devenu l’écomusée d’Alsace, sur des terres d’une surface de 10 ha, anciennes friches des mines de potasse d’Alsace, offertes par la commune d’Ungersheim.

Depuis lors, des dons d’objets et de matériels anciens par les Alsaciens, ont permis de meubler ces maisons et de constituer de remarquables collections de matériel agricole, de mobilier, de linge, de vaisselle et d’objets divers de la vie alsacienne du siècle passé.

La présence d’artisans en activité, tels que le potier, le charron ou le forgeron, ainsi que les maisons présentées illustrent le fonctionnement d’une véritable communauté villageoise fondée sur une économie raisonnable. L’écomusée assure une triple mission de conservation, de commémoration et d’usage.

En sortant de la Taverne, nous abordons notre parcours par la place des Charpentiers… bien sûr par des chemins pavés ou recouverts de graviers ou encore de terre battue. À quelques pas de là se pavane un magnifique paon.

La place des Charpentiers, donc, est le centre historique du village. C’est là qu’ont été rénovées et préassemblées les maisons déplacées sur le site. La maison traditionnelle alsacienne est une maison à colombage, à haute toiture, dont le pignon très pointu est orienté vers la rue.  Autrefois le charpentier installait sur la « Zimmerplatz, le « Rissboda » ou « chantier de trace », vaste chantier sur lequel le plan de la future maison était dessiné à l’échelle réelle. L’ossature de bois y était ensuite assemblée à plat, façade par façade. Le charpentier avait auparavant reçu le bois nécessaire, troncs et branches, de chêne ou de sapin, en quantité limitée. Les bois droits étaient réservés aux poteaux alors que les bois courbes servaient aux décharges, c’est-à-dire aux pièces qui consolident la structure tout en apportant les ornements : triangles, trapèzes, croix de Saint-André, … pour obtenir des colombages, d’autant plus fins et travaillés, qu’il disposait de plus de bois. Les bois sont ensuite numérotés sur le chantier de trace et repositionnés par remontage sur l’emplacement définitif. Une fois l’ossature érigée, les colombages sont le plus souvent remplis de torchis, mélange d’argile et de paille sur un clayonnage de branches ou de tout autre matériau disponible : briques, galets, pierres. Enfin, les panneaux sont recouverts d’un enduit à base de chaux.

Après cette leçon sur le métier de charpentier alsacien d’autrefois, nous découvrons au fil du chemin, les quelques 70 maisons reconstruites dans le village, dont certaines sont très anciennes, comme la maison médiévale de Turckheim qui date de la fin du XVème siècle et dont l’ancienne pièce à vivre est entièrement cloisonnée en bois, fait rare à l’époque.

La maison paysanne alsacienne est souvent organisée selon deux modèles distincts, soit la ferme-cour, où les différentes fonctions, maison d’habitation, étable, grange et autres dépendances sont dissociées dans des bâtiments spécifiques et autonomes et la ferme-bloc qui regroupe toutes les fonctions sous le même toit. Nous découvrons le premier modèle dans la cour du sabotier avec une ferme-cour typique du Sundgau, où l’espace privé n’est toutefois pas clairement délimité par rapport à l’espace public. La ferme n’est pas clôturée et la cour se confond avec la rue. En revanche, la ferme de Rumersheim, un peu plus loin est une ferme-cour, enclose comme une véritable forteresse, de la plaine de l’Ill en Haute-Alsace, riche pays céréalier. Les hauts murs, les créneaux décoratifs, le porche voûté, l’imposant pigeonnier, la taille de la grange, la partie maçonnée de la maison d’habitation, nous renseignent sur le statut social privilégié des constructeurs.

Les fermes de Sternenberg (1750) et de Muespach (1768) sont des exemples de ferme-bloc : on trouve sous le même toit maison d’habitation sur deux niveaux, étable (qui abrite deux vaches ! ) et aire de battage des céréales, puis remise du matériel agricole et des charrettes, surmontées des réserves de fourrage, paille et récolte. La toiture de la ferme de Sternenberg descend très bas pour protéger le torchis des précipitations, signe distinctif de l’habitat de la trouée de Belfort, région battue par les vents d’ouest.

La sauvegarde des bâtiments par l’écomusée ne se limite pas aux maisons mais s’étend aussi aux colombiers et à une porcherie du XVIIIème siècle d’Aubure, dans les Vosges centrales. Bien que petite, elle est d’une conception très soignée mêlant grès rose et bois.

L’aménagement de la maison alsacienne est un autre point fort de notre visite libre de l’écomusée. Le logis paysan alsacien est généralement structuré de manière identique : la porte d’entrée se situe vers le milieu de la façade donnant sur la cour. Elle mène dans un sas desservant la cuisine en face, la Stube d’un côté et éventuellement la petite Stube de l’autre côté. La cuisine, sombre étroite et enfumée ne sert qu’à la préparation des plats et à l’alimentation du foyer du poêle ou du four à pain. Le corps du poêle se trouve dans la Stube, pièce à vivre. Ce poêle appelé Kachelofen est constitué de briques réfractaires et habillé de carreaux en terre cuite vernissées qui accumulent et conservent la chaleur.

Dans la Stube, la table n’occupe pas le centre de la pièce mais un angle. L’une des fenêtres donne sur la rue pour profiter du spectacle de la vie du village et une autre sur la cour pour surveiller les accès à la ferme. La table est entourée d’un banc le long des murs pour les hommes et de chaises pour les femmes qui servent le repas. Un petit meuble d’angle ou parfois une étagère est accroché dans ce coin. Il contient la bible et est appelé « le coin du Bon Dieu » (Herrgottswinkel) : un autel domestique et quelques images pieuses apportent leur protection à la maisonnée. Au fond de la Stube se trouve l’alcôve, chambre à coucher des maîtres de la maison, chauffée par le Kachelofen. Parfois, la maison alsacienne compte une petite Stube où logent les grands parents. Les enfants logent à l’étage dans des pièces non chauffées, accessibles par un escalier situé dans le sas d’entrée. Plusieurs modèles de poêles en carreaux de faience vernissée peuvent être admirés dans les maisons de l’écomusée.

D’autres bâtiments reconstruits dans l’écomusée évoquent les évènements historiques qui ont marqué l’histoire des familles : révolutions, guerres, découvertes …

La maison forte de Mulhouse, bâtiment de plan carré de 10 m de côté et de trois étages, date du XIIème siècle ou du début du XIIIème siècle, période de troubles et de guerres privées. L’Alsace est alors sous l’autorité du Saint Empire germanique et la mort en 1197 du fils de l’empereur Barberousse déclenche une terrible lutte pour la succession du trône. Face à l’insécurité grandissante, les villes se fortifient et construisent beaucoup de châteaux. Le rez-de-chaussée de cette maison-forte urbaine était aveugle et l’étage où habitait la famille était accessible par un escalier extérieur en bois.  Le jardin médiéval au pied de la tour rappelle ceux des cloîtres du Moyen-âge où les moines avaient la mission de préserver la science des plantes et des herbes et cultivaient des plantes médicinales, potagères, de la vigne, des arbres fruitiers et des fleurs.

–          Peu de bâtiments ont survécu aux crises économiques, politiques et démographiques des XIVème et XVème siècles : famines, épidémies de peste, guerre de 100 ans. Les plus anciens sont donc généralement datés du XVIème siècle. La ferme de Schlierbach est l’une des plus anciennes maisons à colombages datant de 1529, qui a résisté à la « guerre des paysans ». Médiéval par son aspect mais tourné vers la modernité dans sa conception, ce bâtiment révèle une construction de qualité mais un art de vivre encore frustre.

–          D’autres maisons sont des reconstructions qui font suite aux ravages de la « guerre de Trente ans » : fermes de Gommersdorf (1682) et Hagenbach (1683). La maison de Blodelsheim semble être une grande auberge située le long de l’ancienne voie royale reliant Bâle à Strasbourg, construite au XVIIIème siècle, période de prospérité et de paix où l’Alsace se repeuple et s’enrichit grâce à son industrie naissante (24 fabriques d’impression sur tissu à Mulhouse à partir de 1746).

–          Sur une poutre maîtresse de la grange de Westhouse, construite en 1801, on trouve une inscription traditionnelle en Alsace : les initiales du couple de propriétaire et l’année de la construction selon le calendrier révolutionnaire « Im 9 Jahr ». L’inscription est complétée par une seconde date gravée par le nouveau propriétaire qui a démonté et reconstruit la maison sur sa propriété en 1910.

Le village met en valeur les maisons des artisans qui, grâce à leurs connaissances techniques, jouissaient d’un fort prestige au sein de la communauté villageoise où ils tenaient une place économique et sociale primordiale. L’écomusée fait revivre leur métier par la présentation de leurs ateliers, des outils, des matériaux utilisés et d’articles finis. On découvre ainsi le long des rues les métiers de charpentier, menuisier, forgeron, potier, tanneur, sabotier, cordonnier, meunier, sellier, charron, tonnelier….

L’écomusée nous renseigne sur la diversité des paysages d’Alsace et ses conséquences au siècle dernier sur la richesse de la population et son habitat.

Ainsi la ferme-cour du Kochersberg, « pays » le plus riche grâce à la fertilité de ses sols, réunit, après un porche, une maison d’habitation de la fin du XVIIIème siècle dont la façade est ornée d’une galerie à balustres de bois sculpté et colombages en forme de losanges sous les fenêtres, un grand bâtiment utilitaire et une grange également porteurs de colombages en losanges. La taille imposante de ces bâtiments témoigne de la richesse de leurs propriétaires qui s’étaient lancés dans les cultures spécialisées de la garance et du houblon, dont la récolte nécessitait beaucoup de place, beaucoup de chevaux et de nombreux domestiques logés, valets, servantes et journaliers.

La maison du vigneron, construite en 1540, est un exemple de la période florissante du vignoble alsacien qui s’étend au XVIème siècle sur 30 000 ha (deux fois plus qu’actuellement) sur les coteaux à l’abri du massif des Vosges. La porte de la cave de cette maison, provenant de Hésingue, vignoble aujourd’hui disparu, permettait le passage d’énormes tonneaux à vin. La date de construction de la maison figure sur le linteau de la porte de la cave.

Une autre maison de vigneron originaire de Wettolsheim, zone d’appellation contrôlée,  datant de 1706, témoigne aussi de l’aisance financière de ses habitants : haut porche, large porte donnant dans une cave de grande dimension, remarquables colombages.  

La maison du jardinier de Ribeauvillé rappelle les pratiques du XVIIIème siècle où il était courant de trouver un abri de jardin en forme de tour très travaillée pour loger le garde-vigne qui surveillait le vignoble pour le protéger des rapines avant et pendant les vendanges. Au rez-de-chaussée une cuisine sommaire, un emplacement pour ranger les outils et un escalier conduisant à l’étage à la chambre du jardinier qui fait office de tour de guet. Le pavillon était à l’origine entièrement crépi et camouflé en « maison de pierre », l’enduit extérieur renforçant l’isolation thermique et donnant un aspect plus valorisant que le colombage ordinaire perçu comme symbole de pauvreté.

Objets, linge

Au fil des maisons nous pouvons admirer toute une collection d’objets du quotidien, de vaisselle locale (moules à kouglof et à terrine), de vêtements, de costumes, de linge, nappes et napperons brodés, rideaux, cantonnières aux décors typiquement alsaciens : carreaux rouges et blancs, broderies rouges ou de couleurs variées de cigognes, coquelicots, marguerites et bleuets, alsaciens et alsaciennes en costumes traditionnels…. 

Expositions temporaires :

« La maison des coiffes » : une magnifique exposition de coiffes dans la maison Soufflenheim du potier nous apprend que le célèbre grand nœud noir est loin d’être la seule coiffe alsacienne et qu’il existe en réalité une grande diversité de coiffes, élément à part entière du costume alsacien et signe d’identité fort. Par leurs coiffes, par la diversité des tissus et des couleurs, des fines broderies et des rubans, les femmes indiquent leur appartenance territoriale, expriment leur personnalité, leur identité sociale, voire, dans la seconde moitié du XIXe siècle, leur croyance religieuse et leur statut de femme mariée ou célibataire. Les coiffes varient aussi en fonction de l’occasion : quotidien ou dimanche, travail aux champs, fête religieuse, mariage, deuil… C’est tout un pan des histoires familiales et régionales que cette exposition de coiffes alsaciennes du XIXe siècle et du début du XXe siècle nous révèle.

Dans la maison de la Cour du Kochersberg évoquée précédemment, nous découvrons l’exposition « Histoires ordinaires d’une famille de 1914 à 1918 ». Nous pénétrons dans l’intérieur d’une maison de 1914 et découvrons la vie quotidienne d’une famille paysanne alsacienne en temps de guerre. L’exposition met en valeur le rôle des femmes qui se retrouvent seules à gérer le quotidien en l’absence de leurs maris et pères partis au front. La vie quotidienne sous tous ses aspects y est abordée au travers de photographies, cartes postales, extraits de correspondances et objets du quotidien.

Nature, plantes et animaux

L’écomusée, c’est aussi un magnifique espace naturel, dans lequel nous déambulons avec d’autant plus de plaisir que la température est agréable, ni pluie, ni soleil de plomb ne nous empêchant de profiter pleinement du paysage ; c’est un parcours entre les arbres, les arbustes et les ronciers, sur des chemins de terre et de pierre bordés de plantes et de fleurs cultivées mais aussi d’herbes folles, d’orties et de chardons ; c’est une rivière poissonneuse où une énorme roue de bois tourne lentement devant la scierie et où plus loin deux cascades entourent une sorte de temple grec ; ce sont des animaux : paon, oies, poules, coqs, vaches, chèvres, bélier, cochons, chevaux comtois, oiseaux divers, hirondelles fendant l’air et bien sûr les merveilleuses cigognes emblématiques de l’Alsace. Partout, sur tous les toits, nous admirons des nids (500 kgs et 1.20m à 1.40m de diamètre) qui abritent des cigognes, des couples et même parfois des cigogneaux, que chacun ne se lasse pas d’observer et de photographier.

Fin de la visite

Après une petite visite à la boulangerie-pâtisserie où nous pouvons goûter les préparations du jour qui n’ont rien d’alsacien puisque la Croatie est à l’honneur (Zlevanka, flan du Medimurje, un gâteau de croatie aux noix et aux graines de pavot, et le papuci, petite douceur de l’ile de Losinj) et récupérer les recettes, il est temps de regagner la sortie en passant par la boutique et de rejoindre Jacques et notre chauffeur qui nous attendent à 16h45 pour continuer notre voyage.