Le médecin inspecteur général Jean-Hyacinthe Vincent (1862-1950), l’un des artisans de la victoire de la guerre de 1914-1918

De Bordeaux jusqu’à l’École d’application du Val de Grâce

Jean-Hyacinthe Vincent nait à Bordeaux le 22 décembre 1862.  Inscrit à la Faculté de médecine, il opte en octobre 1884 pour la médecine militaire et intègre le Service de santé des armées en tant qu’élève, affecté à l’hôpital militaire de Bordeaux. Reçu premier au concours de l’internat, il rejoint l’école du Val de Grâce en janvier 1888. Proclamé major à l’issue du stage, il est nommé Médecin aide major de 2ème classe dès le 5 novembre. Le Professeur Vaillard, directeur du laboratoire de bactériologie de l’Ecole, lui offre sa première affectation au cours de laquelle il effectue une série de travaux sur le tétanos.

L’hôpital militaire d’Alger (1891-1896).

Il rejoint en janvier 1891 l’hôpital militaire de la Division d’Alger, l’hôpital du Dey (dénommé Hôpital François Maillot en 1917).  Il y fonde un laboratoire de bactériologie, tout en prenant en charge un service hospitalier, le service des ″typhoïsants″, la typhoïde étant la grande pourvoyeuse des hôpitaux d’Afrique du nord. C’est à Alger qu’il caractérise une forme spéciale d’angine qui porte son nom, une angine ulcéreuse due à l’action de deux germes qui par leur symbiose sont la cause de la maladie. 

Le Val de Grâce (1896-1924)

Agrégé de médecine en 1896, il est affecté à l’école d’application du service de santé du Val de Grâce. En décembre 1902. Il succède au professeur Louis Vaillard en tant que professeur d’épidémiologie et de maladies des armées et directeur du laboratoire de bactériologie médicale. Vincent reste en poste au Val de Grâce jusqu’à sa mise en disponibilité en décembre 1924. Si son activité médicale est importante et diversifiée (choléra, tétanos, …), s’il faut citer en particulier le rôle qu’il a joué dans le traitement de la gangrène osseuse (mise au point et production d’un sérum anti gangréneux), son œuvre majeure reste ses travaux relatifs à la typhoïde. Cette maladie est encore très présente en France au début du vingtième siècle et depuis son séjour à l’hôpital d’Alger, Vincent a compris l’intérêt qu’aurait pour l’armée un vaccin. Il créée en octobre 1912 au Val de Grâce, le laboratoire de vaccination anti typhique et de sérothérapie.

Bacilles à l’origine de la typhoïde et de la paratyphoïde

La fièvre typhoïde est une maladie septicémique causée par un bacille de la famille des entérobactéries, Salmonella typhi, découvert par l’Allemand Karl-Joseph Eberth (1835-1926) en 1880 et isolé en 1884 par Georg Gaffky (1850-1918) également de nationalité allemande. Des cas similaires, mais généralement moins graves, on parle alors de paratyphoïde, peuvent être provoqués par les bactéries Salmonella paratyphi A, B ou C découvertes en 1896 par deux médecins français, Charles Achard (1860-1944) et Raoul Bensaude (1866-1938). Malgré une certaine similitude des symptômes, typhoïde et paratyphoïde sont indépendantes et ne s’immunisent pas réciproquement.

Facteurs favorisant le développement des épidémies

Causes extrinsèques : la chaleur et de mauvaises conditions d’hygiène

Causes intrinsèques : l’état de fatigue et de surmenage des personnes et leur âge (la tranche de 18 à 25 ans est la plus vulnérable, l’augmentation de la morbidité typhoïdique portant spécialement sur le sexe masculin).

Autre particularité épidémiologique plus sournoise de ces infections, il peut exister des porteurs sains ou asymptomatiques. En outre après guérison d’une fièvre typhoïde, 2 à 5 % des individus continuent à héberger des Salmonella typhi.

Vaccination

Les premières recherches sont françaises et datent de 1888. Elles sont réalisées par le professeur André Chantemesse (1851-1919 et son élève Fernand Widal (1862-1929), attachés à l’Institut Pasteur. Elles montrent que l’on peut conférer l’immunité à des animaux (souris, cobayes, lapins …) en leur injectant sous la peau, à quelques jours d’intervalle, des doses élevées d’une culture de bacilles typhiques tués par la chaleur.

Vincent, de son coté, teste en 1908 différentes méthodes susceptibles de donner des résultats immunisants. Il constate que le bacille typhique et les microbes du même groupe sont très sensibles à l’action de l’éther, qui tue le bacille en 35 à 40 minutes. L’éther a en outre l’avantage de dépouiller les microbes des substances grasses qui contribuent à rendre les vaccins douloureux et fébrigènes. Il insiste sur la nécessité de préparer le vaccin avec différentes races de bacilles de provenances variées et issues de la région où l’on effectue les vaccinations. C’est le vaccin polyvalent.

C’est l’Anglais Wright qui, chez l’homme, a été le véritable initiateur de cette vaccination, en faisant vacciner dès 1897 plus de 200 000 militaires stationnés dans les colonies anglaises.

En France, devant l’attitude frileuse des autorités quant à l’adoption d’une vaccination même réservée à des volontaires, le sujet est abordé dans le cadre de l’Académie de médecine. Une commission est créée en février 1910. Le rapporteur de la commission, Hyacinthe Vincent, en présente les conclusions en janvier 1911.

Rapport de la commission (24 janvier 1911)

Schématiquement, les méthodes de vaccination se classent en deux catégories :

– Vaccins de Chantemesse et de Wright : culture de bacilles en bouillon, chauffée (50 à 60 degrés) de façon à tuer les bacilles puis additionnée de lysol ou d’acide phénique pour achever si besoin est, de détruire les derniers bacilles et être certain de sa stérilité. Le nombre d’injections est de trois ou quatre. 

– Vaccin de Vincent : extrait de bacilles vivants en culture (autolysat centrifugé), stérilisé par mélange et agitation avec de l’éther. On élimine l’éther par décantation puis évaporation.  Il n’est ni chauffé, ni filtré, ni additionné d’antiseptique conservateur. Quatre injections sont faites à huit ou dix jours d’intervalle.

Dans les deux cas, on peut associer aux bacilles typhiques des bacilles paratyphiques. 

Le rapport s’appuie sur les résultats obtenus par l’Anglais A.E. Wright.

Vincent termine son exposé en proposant au vote de l’Académie le texte suivant :   

« Il y a lieu de recommander l’emploi facultatif de la vaccination anti typhique comme un moyen rationnel et pratique de diminuer, dans des proportions sensibles, la fréquence et la gravité de la fièvre typhoïde en France et dans les colonies. Cette recommandation s’adresse en particulier à tous ceux que leur profession expose à la contagion directe ou indirecte par le bacille de la fièvre typhoïde. »

La motion est adoptée par l’ensemble des membres de la commission, à l’exception du médecin inspecteur général Edmond Delorme.  

Mise en pratique de la vaccination

Le Ministre de la guerre, Adolphe Messimy, prescrit dès juillet 1911, son application aux troupes stationnées dans les régions nord des confins algéro-marocains et charge Vincent et Chantemesse de la mettre en pratique. Compte tenu des résultats obtenus, une loi inspirée par Vincent, est déposée en décembre 1913 par le sénateur et médecin Léon Labbé. Votée le 28 mars 1914, la loi dont Vincent est le rapporteur, rend obligatoire la vaccination dans les armées.

Quand éclate la guerre, l’obligation de vaccination n’a pas encore eu le temps d’être généralisée, alors que les militaires anglais sont tous vaccinés. Or début novembre 1914, grave poussée épidémique. Les malades affluent dans de nombreux hôpitaux spécialement aménagés en arrière du front. Vincent est missionné pour aller sur le terrain, et à son retour, on le charge en janvier 1915 « d’une mission permanente ayant pour objet l’application de la vaccination dans les dépôts de l’intérieur ainsi que dans la zone des armées ». Vincent prend son bâton de pèlerin : « Il persuade, il conseille, il ordonne. Avec une courtoise autorité, il réfute certaines objections qui lui sont faites, certaines craintes des dangers éventuels de la vaccination, il exige que l’on surveille et punisse les fraudes, les faux certificats de vaccination. Il sait convaincre. »

Pendant la poussée épidémique (novembre 1914 à janvier 1915) la morbidité moyenne mensuelle est de 700 pour 100 000 hommes. Sans la vaccination (le vaccin à l’éther pour les militaires de l’armée de terre, le vaccin chauffé pour les marins) le nombre des cas aurait concerné à la date du premier octobre 1917 environ 1 485 000 soldats et celui des décès 185 000.

L’Institut décerne en juin 1915 aux vainqueurs de la fièvre typhoïde, les professeurs Vincent, Chantemesse et Widal le prix Osiris d’une valeur de 100 000 Francs dont 50 000 Francs pour Vincent. A la fin de la guerre, les hommages sont multiples et émanent des plus grands chefs, Lyautey, Foch et Joffre.

Le temps des honneurs (1924-1950)

Membre de l’Académie de médecine depuis 1907, Vincent est élu en décembre 1922 à l’Académie des sciences, dans la section de médecine et de chirurgie.

Mis en disponibilité en décembre 1924, le Ministre de la guerre le remercie pour services rendus et lui signifie que son nom restera associé à celui des meilleurs artisans de la victoire. En septembre 1925, une chaire d’épidémiologie est créée spécialement pour lui au Collège de France et il est autorisé à conserver une partie de son laboratoire, pour y poursuive bénévolement ses études et ses recherches.

Les autorités organisent le 5 janvier 1946 une cérémonie pour le cinquantième anniversaire de sa nomination en tant que professeur au Val de Grâce. Le Ministre de la guerre, Edmond Michelet, préside cette cérémonie.  Il lit la citation de Hyacinthe Vincent, à l’Ordre de la Nation, signée Ch. De Gaulle, en date du 28 décembre 1945. La cérémonie se termine par l’inauguration au Musée du Val de Grâce d’une salle portant son nom et d’un buste à son effigie. Enfin honneur suprême, quand le Président de la République lui confère le 21 juin 1950 la médaille militaire accordée aux seuls officiers généraux ayant commandé des armées devant l’ennemi.

Depuis 1946, sa santé commence à décliner et il décède au Val de Grâce le 23 novembre 1950, à l’âge de 88 ans. Ses funérailles ont lieu le jeudi 30 novembre. Il est inhumé au cimetière du Père Lachaise. 

Dijon avait un hôpital militaire dont la construction a commencé en 1937. Achevé en 1942, le premier utilisateur en a été l’armée allemande. Il est décidé en 1951 de donner à cet hôpital, dit Montmusard compte tenu du lieu d’implantation, le nom de Jean-Hyacinthe Vincent. Fermé en l’an 2000, cet hôpital a été démoli en 2007.